PROPOS INTRODUCTIFS
PRENDRE SOIN DE SOI
Les personnes victimes de violences sexuelles dans leur enfance connaissent, pour bon nombre d’entre elles, des conséquences liées au trouble de stress post-traumatique. Peu connues, souvent mal diagnostiquées, voire niées, en tout cas incomprises, elles constituent souvent un empêchement d’être au quotidien. Certes l’intensité des troubles est variable. Les métaphores pour décrire ces symptômes particuliers, que peu de personnes encore comprennent, sont nombreuses. Charlotte Pudlowski parle du « grand vide » [1], Adélaïde Bon des « méduses » qui colonisent son corps [2].
Les soins spécialisés sont évidemment préconisés pour réduire les symptômes du stress post-traumatique. Toutefois, face au manque de spécialistes et au coût des soins, il est souvent indispensable de mettre en place ses propres remèdes pour aller mieux.
Prendre soin de soi est important et il existe des moyens simples pour y parvenir. C’est l’orientation qui a été choisie pour ce dossier, dont le contenu a d’abord été envoyé à toutes les personnes s’étant adressées à l’instance dans le cadre d’une lettre d’information mensuelle.
La démarche de l’inirr mobilise la capacité d’agir des personnes pour redonner du pouvoir d’agir, cette lettre se veut un modeste guide « d’auto-soins » pour y contribuer. Prendre soin de soi pour retrouver de l’énergie vitale et aller vers les autres, deux objectifs souvent exprimés dans l’accompagnement.
Alors ne vous privez pas : prenez soin de vous !
[1] Pudlowski Charlotte, Ou peut-être une nuit, Grasset, Paris, 2021
[2] Bon Adélaïde, La Petite Fille sur la banquise, Grasset, Paris, 2018
« Prendre soin de soi » : cette expression que vous propose l’inirr n’est pas une évidence, à plus forte raison quand on a été blessé, que la vie a été marquée. Beaucoup de personnes ont confié à quel point elles n’ont pas pu apprendre à bien se connaître, n’ont pas été éduquées à repérer leurs besoins et à en tenir compte afin de trouver leur équilibre de vie. Il n’est cependant jamais trop tard pour apprivoiser cette nécessaire attention à soi-même dans le présent.
Afin de prendre soin de soi, il semble important de :
1- S’accorder de la valeur en tant que personne
Pour s’autoriser à se soutenir soi-même, il importe de se regarder comme une personne qui a de la valeur. Cette valeur est indépendante des empreintes du passé et des difficultés du présent, elle n’est pas accordée par le regard de l’autre ou son absence. De fait, pour humaniser, apprivoiser et assimiler des expériences de souffrance qui peuvent paraître indépassables, il y a à se réinscrire dans le tissu spatiotemporel de notre histoire. Bonne nouvelle : se sentir vivant, être en capacité de prendre (enfin) soin de soi-même et de son histoire se joue dans le ici-et-maintenant.
2- Développer une saine connaissance de soi
Voici quelques domaines dans lesquels développer une meilleure connaissance de soi afin de mieux identifier et respecter ses besoins.
- Registre émotionnel : prendre conscience de « comment je me sens », identifier et nommer les émotions qui me traversent, pouvoir exprimer et s’approprier ses propres émotions, accepter de vivre des émotions difficiles (colère, rage, tristesse, désespoir, envie, sentiment d’impuissance) et si possible les partager avec une personne à l’écoute ; cela permet d’entretenir un processus émotionnel sain.
- Registre relationnel : prendre conscience de ce qui me convient en relation : ai-je besoin d’appartenir à un groupe ou plutôt de me ressourcer dans la solitude ? Puis-je m’entourer de personnes et de professionnels qui m’acceptent comme je suis ? Qui me procure du soutien, de la vitalité, qui me sécurise ? Puis-je faire la différence et détecter les relations qui ne me font pas du bien, qui me dévitalisent ou me débordent négativement et ensuite essayer de m’en protéger ? Puis-je régler des affaires relationnelles qui traînent ? Car les non-dits et les tensions relationnelles prennent beaucoup d’énergie psychologique.
- Registre corporel : avoir conscience d’éprouver des sensations externes (voir, sentir, goûter, toucher, entendre) et des sensations internes (percevoir les sensations de l’intérieur du corps : intéroception) permet de se connecter à son corps, d’essayer d’en écouter les nuances et les mouvements. Que souhaite me dire mon corps, ses limites, ses envies, ses douleurs ? Comment puis-je mieux me soigner, me respecter et me reposer ? Comment puis-je retrouver un contact avec le végétal, l’animal, les beautés de la nature et des paysages ?
- Registre cognitif : connaître les pensées et croyances que j’entretiens, connaître l’impact sur moi de mes expériences traumatiques (se sentir moins en sécurité, croire que le monde est menaçant en permanence, tendance à dramatiser, à être impacté par l’actualité) et savoir que ces pensées sont des apprentissages issus d’expériences négatives répétées. À l’inverse, doser mon exposition à la bassesse, à la cruauté, à la violence, aux nouvelles anxiogènes du monde. S’exposer régulièrement à la beauté, à la nature, à des expériences d’émerveillement possible.
- Registre du sens de la vie : mieux connaître ses zones de fragilité, d’inquiétude et de préoccupation. Accorder du temps à ce qui donne du sens à ma vie.
3- Mettre en place des actions qui « font du bien »
Prendre soin de soi au quotidien, c’est en quelque sorte se traiter comme son/sa meilleure ami(e) : avec patience et douceur, il s’agit d’améliorer notre état en agissant avec nos moyens, avec ce qui est à notre portée.
Parole de référente
Lorsque j’accompagne les personnes qui s’adressent à l’inirr, il m’arrive d’aborder cette question : comment, dans la vie qui est la votre aujourd’hui, au présent et avec l’histoire que vous portez, parvenez-vous à prendre soin de vous dans votre quotidien ?
Sans nous en rendre compte, nous faisons souvent déjà des choses pour prendre soin de nous.
Notre cerveau a naturellement tendance à mettre l’accent sur ce qui provoque des émotions moins agréables, c’est ce que l’on nomme « le biais de négativité ».
Alors en posant notre regard sur les choses qui nous font un peu plus de bien que d’autres au quotidien, même toutes petites, c’est une manière de prendre soin de moi. Qu’est-ce qui, dans ma journée, dans ma semaine, me procure un tout petit peu plus de plaisir ?
Sortir devant ma maison pour prendre le soleil, lire le journal le matin, déguster mon café ou mon thé, sentir l’odeur du pain, m’occuper de mon jardin, regarder les fleurs, écouter une musique, écouter les oiseaux qui chantent, le bruit d’un ruisseau… Autant de petites choses qui pourraient nous aider, simplement en en prenant conscience, à nous faire du bien.
À ouvrir si vous avez envie… Ce sont des idées, sans injonction, sans objectif précis, peut-être un petit challenge de temps en temps, pour tester des choses et observer.
- Une ou plusieurs fois dans la journée, porter mon attention quelques instants sur ce qui est beau autour de moi : une fleur, un arbre, un coquillage, un paysage, un rayon de soleil, ce que je mange…
- Me relier à la nature d’une manière ou d’une autre, le plus régulièrement possible : faire une balade, s’allonger dans l’herbe, chercher les arbres autour de moi, les jardins citadins …
- Faire quelque chose que j’aime : lire, coudre, jouer au foot, parler avec quelqu’un, déguster un aliment, faire des mots-croisés, regarder une émission télévisée … et observer comment je me sens ensuite, sans jugement.
- Me reposer quand je suis fatigué, régulièrement dans la journée si c’est possible et favoriser de bonnes conditions de sommeil.
- Prendre un temps pour centrer mon attention sur ma respiration.
- Pratiquer des exercices qui permettent de mettre mon corps en mouvement :
à l’extérieur : identifier des itinéraires réguliers et voir s’ils ne pourraient pas être parcourus à pied, ou programmer une promenade qui n’était pas prévue, ou participer à des jeux, ou mesurer vos pas avec une application sur le téléphone, pour un petit challenge ;
à l’intérieur : monter et descendre les escaliers, ou faire des petits mouvements pour mettre mon corps en mouvement, même devant la télévision par exemple, cela peut être juste quelques minutes (tourner lentement la tête à droite, puis à gauche, ou lever une jambe, puis l’autre, un bras, puis l’autre…).
Identifier le moment où vous faites quelque chose dans la journée pour prendre soin de vous.
LA BOÎTE À OUTILS DES ACTIONS QUI FONT DU BIEN
Les ressources
Vous pouvez aussi vous inspirer des travaux du docteur Pascale Brillon, dont vous trouverez la liste d’auto-soins en accès libre ici (cliquez sur le lien) :
- www.isabellesoucy.com : Mes auto-soins – 3 pages à cocher et à améliorer !
- calacs.lapasserelle.org : livret pour aller du trauma à l’auto-soin au quotidien, avec une belle boîte à outils concrète.
- www.psychopap.com : guide d’auto-soins selon Pascale Brillon.
À hauteur d’enfants
Pour terminer et se décaler un peu, une liste des auto-soins donnée par des enfants de 5 à 10 ans à qui on a demandé : « Comment aller bien tous les jours et prendre soin de soi ? » Leurs réponses : prendre une douche fraîche le matin, ne pas croire les autres s’ils disent du mal de nous, faire bien attention aux moustiques, faire des choses artistiques, voir le docteur si on est malade, se reposer aux temps calmes et dévorer de bons goûters, bien se couvrir s’il fait froid, jouer dans le jardin après le dîner, raconter beaucoup d’histoires.
Ont contribué à cet article : Lorraine Angeneau, Stéphanie Carré, Marie Derain de Vaucresson et Lola Favre.
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