PROPOS INTRODUCTIFS
Parce que les violences sexuelles subies pendant l’enfance ont eu, bien souvent, un impact sur toute la vie de la personne, la réponse apportée à ces violences doit pouvoir prendre en compte cette globalité. Dès son démarrage, et conformément à la mission qui lui a été confiée, l’instance a eu l’intuition que pour un certain nombre de personnes victimes la contribution financière ne pouvait constituer l’unique volet de la réparation.
Le rapport de la Ciase avait déjà souligné cette dimension : « [Les infractions sexuelles] engendrent un empêchement d’être, de créer des liens avec autrui, de se constituer comme sujet libre. Cette capacité perdue ne peut être restituée que par une forme de justice qui tend, par la reconnaissance, à reconstituer cette capacité à être et à créer des relations. » (Rapport de la Ciase, page 409.)
L’écoute des personnes victimes a confirmé cette nécessité puisque beaucoup ont souhaité que leur réparation intègre une démarche restaurative, en complément de la dimension financière. Ce dossier a vocation à en présenter les principes.
LES DÉMARCHES RESTAURATIVES À L’INIRR
Dans le cadre de l’accompagnement proposé par l’instance, les personnes victimes sont amenées à s’interroger sur ce qui pourrait donner du sens, en matière de réparation, alors que, bien souvent, plusieurs décennies se sont écoulées depuis les faits, que l’auteur est décédé ou que la plainte pénale a été classée pour prescription. Pour les personnes victimes qui souhaitent vivre une démarche restaurative, le référent les aide à identifier ce qui serait utile, aujourd’hui, en matière de réparation, pour vivre une nouvelle étape, gagner en apaisement ou se tourner davantage vers l’avenir. Le référent s’assure ensuite de sa faisabilité et veille à la sécurité de cette démarche, notamment pour que celle-ci n’aille pas à contresens du parcours de reconnaissance vécu avec l’inirr.
Après deux années d’activité, les personnes victimes soulignent que les démarches restauratives jouent un rôle essentiel dans le processus de reconstruction. Il est possible de le relever à deux niveaux. Ainsi, cette réflexion menée avec le référent est, bien souvent, l’occasion de réfléchir à ce qui restera de ce parcours avec l’instance et donc de l’inscrire dans le temps long et dans la vie concrète de la personne.
Par ailleurs, alors que le montant de la contribution financière est fixé par le collège de l’instance, la démarche restaurative est décidée et choisie par la personne victime. C’est elle, et elle seule, qui peut savoir ce dont elle a besoin pour avancer sur un chemin de reconstruction. L’instance, par l’intermédiaire du référent, est simplement là pour accompagner sa mise en œuvre. Pour beaucoup, c’est un élément décisif qui ouvre de nouveaux possibles, et permet un changement très concret dans leur vie.
En 2023, 187 démarches restauratives ont été validées par le collège. En 2024, 133 démarches ont déjà été validées, uniquement durant le premier semestre de l’année.
Elles peuvent schématiquement rassembler trois catégories.
- « Être entendu et reconnu » : certaines personnes victimes expriment le besoin de rencontrer et d’échanger avec un représentant de l’Église (évêque, prêtre ou laïc) ou de recevoir une lettre de sa part, une marque de soutien, d’encouragement ou parfois de reconnaissance des conséquences que ces violences ont eu sur leur vie, à un autre niveau.
L’inirr accompagne leur mise en œuvre, conformément aux attentes de la personne, pour que cette démarche contribue autant que possible à son apaisement.
- « Être restauré relationellement » : environ un quart des démarches restauratives portent sur le rétablissement d’un dialogue. L’instance accompagne, sous diverses formes, les personnes victimes qui souhaitent en parler à leurs proches, parfois pour la première fois. Pour d’autres qui en ont déjà parlé à leur famille, elles peuvent exprimer le souhait d’en parler une dernière fois, afin d’inscrire cette histoire dans le récit familial, tout en lui apportant un point final. Des personnes victimes expriment aussi le besoin d’être orientées vers des réseaux de soin ou d’aide sociale, à proximité de leur domicile, pour entamer une thérapie ou bénéficier d’un soutien de proximité.
- « Faire mémoire » : beaucoup de personnes victimes souhaitent qu’une trace de leur histoire soit conservée et que celle-ci contribue à des prises de conscience de la part de l’Église, mais aussi à une meilleure compréhension de ces enjeux par la société.
Pour certaines, cela prendra la forme d’un témoignage. Pour d’autres, cela passera par une cérémonie, religieuse ou non, dans un lieu symbolique, en présence de proches, le cas échéant, d’autres personnes victimes et de membres de l’Église. C’est souvent l’occasion de sortir du silence ou de l’isolement et d’inscrire cette reconnaissance reçue dans une dimension collective.
Enfin, 12 % des démarches restauratives identifiées par des personnes victimes n’entrent pas dans l’une de ces catégories. C’est un point essentiel qui démontre que l’inirr n’a pas vocation à offrir une liste de démarches de réparation, mais à s’adapter aux besoins des personnes victimes et à proposer une démarche sur mesure, car chaque histoire de vie est singulière. Ces autres réparations sont diverses : certaines personnes expriment le besoin de connaître plus précisément le parcours de l’auteur des violences, d’être aidées dans l’organisation d’un voyage symbolique en lien avec son histoire, d’offrir un concert dans l’église où ont eu lieu les violences il y a plus de cinquante ans, etc.
Ces démarches, aussi diverses soient-elles, traduisent une volonté de (re)prendre en main son histoire, de redonner à ces violences, leur juste place et de cheminer vers un horizon d’apaisement.
Parole de témoin
« Je vous remercie du fond du cœur de m’avoir aidé à rompre le silence sur mon lourd passé, avec mon épouse Alice. Comme vous me l’aviez conseillé, j’avais rédigé le texte que j’allais lui lire pour ouvrir la discussion. J’ai mis une semaine à l’écrire, le modifier, le compléter et je l’avais imprimé hier soir.
Au moment de la pause café/tisane cet après-midi, je me suis lancé et j’ai commencé d’une voix bien assurée à lire le début, faisant référence au rapport de la Ciivise, rendu ces jours-ci, et abordant ensuite la création de la Ciase, et le rapport rendu par Jean-Marc Sauvé. Je lui ai dit que je pensais alors ne pas être concerné, et que c’est grâce à un article de presse que j’ai compris que les violences sexuelles sur enfants, faites par des laïcs en mission pastorale, étaient recevables.
Et je lui ai annoncé que j’avais été abusé par un laïc moniteur bénévole, pour nos sorties du jeudi et nos camps d’été, durant sept années. Et la discussion a débuté.
Bien que choquée, elle m’a remercié de lui en avoir parlé, d’avoir osé rompre le silence, mais elle était surtout peinée pour moi, pour toutes ces années de vie gâchées et pour ce pesant fardeau porté. Elle m’a demandé pourquoi je n’en avais pas parlé à mon frère aîné, à mes parents… Et elle a ajouté, elle qui a une profonde foi, combien elle était dégoûtée par ces hommes d’Église qui sont censés vivre l’Évangile.
Puis, je lui ai parlé de mes recherches et des différents contacts que j’ai eus, pour arriver à découvrir l’inirr et y déposer ma demande initiale en mars 2022. Et nous avons échangé sur ces deux organismes créés en octobre 2021, et sur le très important rôle que vous avez tenu avec moi pour faire remonter à la surface des faits enfouis depuis 70 ans !
Cela a duré environ une heure, au terme de laquelle j’ai pleuré, à 77 ans !!!
Je démarre une nouvelle vie, avec mon épouse de 76 ans, l’esprit libéré pour vivre une re-naissance. »
Parole de référent
« J’ai pour habitude de partir des conséquences que les agressions ont produites dans la vie de la personne, et d’explorer avec elle si certaines blessures ne seraient pas, sinon réparables, au moins en partie apaisables par une mesure symbolique ou concrète. Parfois la proposition trouve un écho immédiat chez la personne, parfois non, chaque situation est unique. L’objectif est aussi de pouvoir redonner un potentiel pouvoir d’action à la personne, d’engager avec elle une réflexion active et orientée vers l’avenir.
Les idées qui émergent peuvent avoir une dimension très symbolique : lecture d’une lettre sur la tombe d’un auteur décédé, messe de réparation, demande d’une lettre de reconnaissance adressée par un évêque…
Au fil de nos entretiens, une personne que j’ai accompagnée avait exprimé à quel point le retour de ses souvenirs traumatiques et la désorganisation qui en avait résulté avait pu être dévastatrice pour ses proches. Leurs relations en avaient été particulièrement abîmées, voire rompues. Elle a donc demandé à ce que l’inirr lui remette des lettres de reconnaissance adressées à chacun de ses enfants ainsi qu’à son ex-mari expliquant sa situation. Ces lettres, qu’elle a tenu à remettre elle-même, lui ont permis de renouer un dialogue avec ses proches et de commencer à restaurer un lien.
Lorsqu’une demande, une idée rentre dans notre champ de compétences et de possibilités, nous avons toujours à cœur d’accompagner au mieux la personne, afin que la démarche soit pour elle la plus porteuse possible de sens. »
Parole de témoin
Victime de violences sexuelles dans mon enfance de la part d’un membre du clergé, j’ai eu besoin que l’Église reconnaisse sa responsabilité.
Engagé dans la démarche de l’inirr à cette fin, j’ai pu rencontrer l’évêque auxiliaire de mon diocèse et aborder avec lui les conséquences de ces épreuves, sur ma foi, sur mes croyances et les engagements de l’Église pour que cela ne se reproduise pas.
J’en suis sorti soulagé. Soulagé que l’institution, à travers l’un de ses responsables, me demande pardon pour ses manquements, en conscience. Soulagé que l’Église soit sur un chemin de rémission, à l’image de mon chemin de guérison.
Au bout de ce nouveau chemin de foi qui s’ouvre à moi, je ne vois que du positif : la reconstruction prudente d’une confiance envers l’Église dont mon enfance m’avait privé.
Ont contribué à cet article : Jean-François Badin, Julien Noël
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