Je veux témoigner de ce que j’ai vécu pour que ces histoires ne tombent pas dans l’oubli, pour que les souffrances causées soient reconnues et que cela ne se reproduise plus.
J’avais 7 ans quand cela m’est arrivé. Incompréhension totale, puis honte, culpabilité, silence et désespoir grandissant. Depuis, cet événement et ses conséquences m’ont souvent encombrée et ont assombri mon existence bien des fois. Ils font partie de mon histoire oui, mais ils ont pris beaucoup trop de place dans ma vie.
Un grand nombre d’années se sont écoulées, puis j’ai entendu parler de l’inirr. L’espoir est né en moi d’être crue, d’être reconnue, et de me relever, enfin. J’ai commencé à faire des recherches pour savoir qui pouvait être ce prêtre, et pour savoir aussi s’il y avait eu d’autres victimes à cette période-là, dans cette paroisse-là. Mais cela n’a rien donné de clair et de précis.
[Quand je regarde les conséquences que cet événement a eu sur ma vie, je suis très en colère. Quand je regarde un film ou un documentaire sur ce sujet, je suis encore triste et encore en colère. Ce qui me vient alors à l’esprit, c’est que je veux que le monde sache ce qui s’est passé, ce que ces prêtres abuseurs dans la toute-puissance ont fait à des enfants innocents. Je veux que le monde entier sache ce que cette institution a passé sous silence et a laissé faire pendant des années. Je veux que tous ces abus soient inscrits dans l’histoire de l’Église et qu’enfin, la honte et la culpabilité changent de camp.]
Ma démarche auprès de l’inirr, accompagnée par ma référente, m’a beaucoup remuée, bousculée, et déplacée. J’ai bien failli abandonner avant même de commencer. Revenir sur cet événement et sur ce que j’avais vécu ensuite me semblait si difficile. Et ça l’a été. Mais avec l’aide de ma thérapeute et de ma référente, je me suis sentie boostée pour avancer, pour aller jusqu’au bout de ce travail. Car c’est un vrai travail.
Ma plus grande peur était de ne pas être crue, de ne pas être entendue. J’ai toujours pensé qu’on ne me croirait pas. Trop petite pour comprendre ce qui s’était passé, ne pouvant pas mettre de mots sur cet événement, je m’étais tue. S’en était suivie une distance avec les autres, un isolement, et le sentiment d’être différente et marginale. Je me croyais folle. Plus tard, adulte, lorsque j’ai osé en parler, j’ai entendu des choses comme : « Tu étais une allumeuse », ou encore : « Je ne peux pas croire qu’un homme de ce statut ait fait ça. » Quelle déception et que de colère en moi ! Le déni de mon entourage, de mes parents surtout, me confirmait qu’on ne me croirait pas…
Mais dès le premier entretien avec les personnes de la cellule de Nantes, je me suis sentie accueillie, prise en compte et crue. La même peur (celle de ne pas être crue) m’a envahie bien avant de commencer les entretiens avec ma référente. Mais elle m’a écoutée, accompagnée, avec beaucoup d’attention, de bienveillance, de respect et de patience.
Être crue et reconnue enfin ! Être écoutée et prise en compte me permet de me sentir exister, de me sentir vivante et de retrouver la dignité perdue pendant si longtemps.
Et au moins, avec ma démarche auprès de l’inirr, je fais quelque chose pour me défendre, pour me battre et sortir du silence et de la culpabilité. J’agis enfin pour moi et pour les autres peut-être aussi, pour toutes celles et tous ceux qui n’osent pas parler, qui n’osent pas témoigner. Je l’espère en tous cas.
Cet événement et ses conséquences sont inscrits en moi bien sûr, je sais qu’ils ne s’effaceront pas. Ils font partie intégrante de ma vie, mais ils ne prennent plus toute la place. Ce travail m’a permis de comprendre et d’accepter des moments de mon histoire. C’est comme un puzzle dont les morceaux trouveraient leur juste place. Ma démarche a changé mon regard sur ce que j’ai vécu et va me permettre, je l’espère, d’avancer et d’ouvrir des portes restées trop longtemps fermées.
Je me sens pleine de gratitude pour toutes les personnes qui m’ont accompagnée et soutenue tout au long de ma démarche.