La colère

PROPOS INTRODUCTIFS

 

A l’inirr, nous portons une attention particulière à l’accueil de la colère, qui est une émotion légitime et dont l’expression est naturelle, voire salutaire. Les référents sont ainsi formés pour la prendre en compte.

Du fait de l’évocation régulière de ce sentiment par les personnes victimes, s’est imposée l’idée d’un dossier thématique sur le sujet de la colère.


LA COLERE, UNE EMOTION COMME LES AUTRES

 

Parole de référente, Par Myriam

Soyons réceptifs, réceptives à nos é-motions, à celles des autres…elles sont signes de vie, nous rendent vivants, vivantes, comme un mouvement (motion) qui va vers l’extérieur ;

La colère en est une, comme la joie, la tristesse, et la peur, elle fait partie des 4 émotions élémentaires, comme une palette de couleurs, elle peut se nuancer comme le permet la langue française, en colère, enragé, contrarié, plein d’aversion, excédé, hors de soi, agacé, exaspéré, furieux, furibond, courroucé, ulcéré, révolté…émotion amie comme les autres, si elle nous met dans un mouvement constructif quand elle est accueillie, comprise, expliquée, et malheureusement peut être destructive quand, au contraire, comme une violence envers soi, l’autre, ou le bien des autres, elle prend le pouvoir à cause de l’isolement, le jugement, l’interprétation, la dédramatisation ambiante.

Avoir de la colère est légitime, être en colère peut être dangereux. Comme toute émotion, elle n’est ni bien ni mal, ce n’est pas une valeur morale, mais ça peut nous donner des sensations et réactions (souvent inconscientes) désagréables et envahissantes, voire inhibantes.

Pour moi, référente, elle est un outil précieux à ne pas négliger, bien au contraire, pour la sublimer en un moteur puissant de (re)construction possible. Il est de notre devoir d’aider à la repérer, pour mieux la gérer comme le ferait un sportif de son agressivité qui lui permet d’en faire énergie.


LES COLERES RECUES ET ACCUEILLIES A L’INIRR

 

L’inirr reçoit et écoute différents types de colère :

    • La colère liée à la silenciation des personnes victimes dans l’Eglise ;

    • La colère liée aux actes subis ;

    • La colère liée à la difficulté de se faire entendre ;

    • La colère envers l’inirr (attente).

Toutes ces formes de colère sont légitimes et compréhensible, elles ont leur place à l’inirr et dans l’accompagnement avec le référent.

« Après toutes ces années, je peux lire que le diocèse était au courant. Et qu’il n’a rien fait. Pire, il a pris fait et cause pour l’agresseur.

A la fois, ces mots de reconnaissance soulagent quelque chose au fond de moi, et, bizarrement, provoquent des torrents de colère, voire des envies meurtrières.

Je suis tellement en colère d’être une victime « évitable » … D’être une victime « programmée » … Ces gens, ces guides spirituels, ces robes blanches et tous leurs défenseurs ».

Extrait d’un mail reçu suite à une lettre de décision

Parole de référente, par Corinne

Dans cette relation si singulière entre la personne victime et la ou le référente que je suis, peut naître aussi une colère. Tout du moins l’ai-je ressentie à plusieurs reprises, sans forcément l’avoir identifiée immédiatement. 

Le constat d’impuissance à l’écoute des violences endurées naguère dont les effets dévastateurs sont eux bien présents, la révolte contre un système qui a utilisé des mineursenfants, les condamnant à faire leur coulpe à perpétuité, jusqu’à la destruction lente ou radicale. La nécessité irrépressible de parler contre le silence imposé par le chantage et ses subterfuges écœurants. J’y vois là un effet de ricochet, possiblement la diffusion par capillarité de cette colère qui serait salutaire et m’encouragerait dans cette voie de l’accompagnement « inirrien », me muant en truchement de la personne victime, capable de prendre le temps de trouver les mots, chevilles ouvrières d’une plaidoirie ajustée pour mener à « l’indispensable réparation ».


DIFFERENTS NIVEAUX DE COLERE

 

La colère est une émotion motrice, une tendance à l’action qui permet de faire respecter son territoire, c’est-à-dire sa personne. Si elle est réprimée, elle peut devenir (auto)destructrice, vient alors la rage, la haine, le ressentiment.

Le premier niveau de la colère est celui qui relève de l’intelligence émotionnelle : c’est une réaction de protection face à un sentiment d’injustice, une critique, une sanction que l’on trouve injustifiée.

Le second niveau est celui de l’expression de la colère d’une intensité plus élevée parce que directement corrélée au niveau de violence. Quand elle est une défense contre la soumission, la colère est légitime et elle est même le signe d’un réveil de l’identité. En revanche, à partir du moment où la colère se transforme en rage en haine, elle heurte, elle fait mal à l’autre d’une manière destructrice (le comportement destructeur en réponse à la destruction subie) ou à soi-même (la colère retournée contre soi).

La colère spécifiée au stress post-traumatique constitue le troisième niveau. Il s’agit de la colère qui vise à sortir d’une forme de passivité et d’immobilisation qui, de fait, va souvent être exprimée d’une manière dysfonctionnelle parce que liée à une dérégulation émotionnelle. Il peut s’agir d’un réel obstacle pour les personnes qui souffrent de traumatismes complexes parce que la colère se manifeste par des crises intenses qui peuvent peser pour l’entourage et à la personne elle-même parce qu’elle n’est pas en capacité de les juguler, les maitriser. C’est une colère traumatiquement juste mais l’objectif consiste alors à la travailler de manière à ce qu’elle devienne une énergie constructive pour la personne.

« J’ai toujours de la haine, beaucoup de haine. Haïr quand même ce n’est pas interdit. C’est humain.

De ressentir de la haine, quand on a été blessé, c’est complètement normal ; ce qui est embêtant c’est quand la haine prend toute la place »

De victimes à témoins, livre de témoignages publiés par la Ciase, p.102 –

LA COLERE, FORCE DE RESISTANCE

 

La colère qui ouvre une voie à l’inirr c’est celle qui est une force de résistance à la violence, au traumatisme, à ce qui a été vécu dans la soumission.

Il ne s’agit pas de contrer la colère qui est force de résistance, au contraire, l’objectif est de se concentrer sur le message qu’elle donne et la positiver. Cette colère est structurante, elle ouvre une voie de révolte, ce qui est une forme de pouvoir d’agir retrouvé.

Positiver la colère est alors une force de résistance (celle-là on ne la contre pas, mais on se concentre sur le message qu’elle donne), et qui est une colère structurante. Elle délivre un message, ouvre une voie de révolte et de résistante.

La colère n’est pas qu’un affrontement, c’est aussi remettre les choses à la bonne place.


LA COLERE PARTAGEE 

 

Parole de témoin

Laissez-moi ma colère !

D’elle, on dit souvent qu’elle est mauvaise conseillère mais aussi qu’il en existe de saintes ! Soit c’est tout noir, soit c’est tout blanc … Au risque de choquer, mais celles et ceux qui ont été victimes me comprendront peut-être, je refuse de voir en elle un état qu’il faudrait combattre. Parce qu’un jour un prêtre pour satisfaire ses pulsions, m’a empêchée d’être à jamais, je suis en colère. Parce que des évêques savaient (et savent encore !) ce que faisaient leurs prêtres, mais n’ont rien fait, je suis en colère. Parce que les réformes pour protéger les mineurs ou les personnes vulnérables n’avancent pas je suis en colère. Parce qu’autour de nous, on voudrait vite tourner cette vilaine page des agressions sexuelles, je suis en colère. Mais cette colère, loin de m’abattre, me tient en vie, me met debout ; elle me pousse à me battre, elle est même le moteur puissant de mon engagement avec d’autres dans un collectif pour que l’Église s’engage dans un chemin de repentance et de réparation. Sans elle, aujourd’hui je m’effondrerai. Alors, laissez-moi être en colère !

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