PROPOS INTRODUCTIFS
A l’inirr, nous savons à quel point les séquences médiatiques relatives aux violences sexuelles subies par des mineurs réactivent les souffrances et les attentes des personnes victimes. Si la libération de la parole est salvatrice, elle est aussi toujours douloureuse. L’objectif de ce dossier est de mettre en avant les conséquences d’un agenda médiatique fortement concentré sur les violences commises en milieu scolaire catholique, aussi bien pour les personnes victimes que pour l’instance.
Les répercussions de l’actualité sur l’activité de l’inirr et les personnes
Les conséquences pour l’activité de l’inirr
Les évènements extérieurs et l’actualité ont parfois pour effet de réactiver les symptômes du psychotraumatisme des personnes victimes, ce qui génère des retentissements pour l’activité de l’instance : davantage de sollicitations par des personnes déjà accompagnées, de nouvelles demandes d’accompagnement.
Cela met en évidence le fort impact de la médiatisation autour de l’affaire de Bétharram depuis janvier 2025. En effet, depuis trois mois l’instance connaît une augmentation des nouvelles demandes de reconnaissance et de réparation relevant de sa compétence : 20 en janvier, 31 en février, 39 en mars et 26 en avril.
A titre comparatif, au cours des derniers mois de 2024, l’instance enregistrait en moyenne une dizaine de nouvelles demandes par mois.
Au total, depuis le début de l’année 2025, 116 nouvelles personnes se sont adressées à l’inirr contre 168 pendant toute l’année 2024.
Le profil des personnes varie quelque peu par rapport aux années précédentes :
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- 30% de ces personnes ne relèvent pas de la compétence de l’inirr (c’était 22% en 2024), ce que nous analysons comme le signe d’un déficit d’espace d’écoute et d’accompagnement pour les personnes ayant été victimes de violences sexuelles dans l’enfance.
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- Les personnes sont plus jeunes (56 ans de moyenne d’age) et la proportion d’hommes plus imporatnte (80%).
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- 30% des violences décrites ont été commises au sein de l’enseignement catholique.
Parallèlement dans ce contexte de forte médiatisation, l’attente de l’accompagnement devient plus pesante, et les personnes l’expriment à leurs interlocuteurs de l’inirr. Ainsi les personnes qui ont déjà été accompagnées sont nombreuses à solliciter de nouveau les référents. Non pas pour obtenir des éclaircissements sur l’actualité, mais pour partager leur colère et le sentiment ravivé d’impunité.
Les conséquences de la réactivation, du point de vue d’une personne victime
Parole de témoin, par Bruno
L’affaire Bétharram et sa médiatisation m’ont permis de découvrir un surprenant mécanisme : la mémoire dissociative.
Ces violences subies enfant par ce prêtre, furent telles que mon cerveau les avait totalement enfouies, probablement par protection. Pendant longtemps, ces souvenirs sont restés comme inexistants, jusqu’à ce que tardivement, des témoignages saisissants émotionnellement fassent office de clef déverrouillant une porte secrète.
En 2019, le film Grâce à Dieu avait douloureusement révélé un premier fragment, riche en détails bien pénibles, puis en mars dernier, le témoignage TV d’une victime de Bétharram a déclenché un nouveau souvenir atroce, précis et venant étonnamment en complément du premier fragment.
Ces révélations s’imposent alors brutalement, avec une netteté terrifiante, comme si mon cerveau révèle depuis peu, quelques pièces choisies du puzzle, qui restaient verrouillées. J’espère échapper à ce probable ordre crescendo sur ces révélations. Car la première était douloureuse, mais la seconde bien plus. J’espère que les suivantes ne le seront pas plus…
Cette médiatisation, si nécessaire pour la vérité collective, peut être un parcours chaotique pour nous victimes, aux mémoires éclatées. Chaque récit public peut devenir un déclic douloureux, mais aussi un pas déterminant vers la reconquête de soi. Aujourd’hui, je comprends que ces fragments qui ressurgissent brutalement, sont les pièces manquantes d’un puzzle dramatique, que le psychisme enfoui judicieusement pour mieux protéger. Ce chemin vers la guérison oblige l’acceptation bienveillante de ces fragments de mémoires, même s’ils arrivent comme des coups de poing.
Mais ces récits m’ont aussi convaincu que : Briser le silence est un chemin vers la libération. Merci à l’inirr de l’incarner.
Le point de vue psy
3 questions à Christophe, référent et psychologue à l’inirr
Comment expliquer, au plan psychique, que l’agenda médiatique autour des violences sexuelles dans l’Eglise puisse mettre en difficulté les personnes accompagnées ?
D’un point de vue strictement clinique, la confrontation à l’actualité ne constitue pas, en tant que tel, un facteur réactivant du trouble de stress post-traumatique, cela n’a pas été identifié comme tel dans la littérature ou dans les symptômes cliniques. Habituellement les éléments qui peuvent venir réactiver les symptômes de stress post-traumatiques sont plutôt des éléments d’ordre sensoriel (odeurs, goûts, images, bruits) qui peuvent réactiver tout ou partie du traumatisme. Cependant, nous nous rendons de plus en plus compte que la médiatisation d’évènements traumatisants peut malgré tout être un facteur réactivant.
Dans le cadre de la médiatisation de l’affaire autour de Bétharram, ce ne sont pas seulement le récit des faits subis qui sont source de réactivation mais aussi tout ce qui est associé aux violences sexuelles et à leur révélation : la dénonciation du mensonge, de la complicité, du silence, du « tout le monde savait » parce que c’est bien souvent aussi un aspect traumatique de l’histoire des personnes (« je n’ai pas été protégé », « on ne m’a pas cru »). Ces éléments qui participent d’une victimisation secondaire sont nombreux dans l’actualité récente, le silence du premier ministre, par exemple, est éloquent et concourt à cette réactivation observée.
A cela s’ajoute l’« effet de masse » et l’inscription dans une temporalité récente (les années 90 – 2000). Cela renvoie les personnes à une crainte vertigineuse que « ça ne s’arrêtera jamais ».
Comment appelle-t-on cette réactivation dans le champ du psychotrauma ?
Le terme consacré est celui de reviviscence. Cela signifie que la personne revit ou ressent de façon intense dans le présent un évènement traumatique qu’elle a subi dans le passé. Elle est ainsi ramenée en arrière dans son histoire personnelle tout en ayant le sentiment envahissant qu’elle revit aujourd’hui les traumatismes.
Concrètement qu’est-ce que cela produit ?
La confrontation à cette actualité génère de l’insécurité psychique malgré l’absence objective de danger pour la personne. Cette insécurité est d’autant plus forte qu’elle réactive aussi un sentiment d’impuissance qui est insupportable. Cela explique donc que les personnes cherchent à se mettre en action pour le contrer, en se tournant par exemple vers l’inirr.
Les conseils des référents : Quelques stratégies d’auto apaisement
Il existe quelques exercices simples, à réaliser en autonomie qui permettent de diminuer l’anxiété que peut générer la confrontation à l’actualité.
Ces techniques d’apaisement utilisent le corps comme média pour apaiser l’activation du système nerveux et rétablir l’équilibre permettant le retour au calme. Pratiquées de manière régulière, elles ont même des bénéfices de plus long cours sur la qualité du sommeil, l’estime de soi, l’irritabilité. De manière générale, elles favorisent la gestion des symptômes du trouble de stresse post-traumatique.
Vous trouverez dans ce guide (lien cliquable) un ensemble de conseils d’autosoins dont les référents se servent régulièrement dans leur pratique à l’inirr.
Maeva, référente à l’inirr et psychologue, recommande particulièrement les exercices suivants :
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- La respiraion bloquée 2-2-2 : elle consiste à inspirer pendant deux temps, bloquer la respiraiton pendant deux temps et enfin expirer pendant deux temps. Répétez l’opération pendant 5 minutes deux fois par jour.
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- L’exercice des cinq sens : c’est une technique d’ancrage à réaliser pendant les moments d’angoisse et d’anxiété qui peut aussi aider si vous êtes envahi de flashback ou si vous avez des difficultés à trouver le sommeil. Cela consiste à décrire avec le plus de détails possibles ce qui vous entoure à l’aide de vos cinq sens : la couleur des objets, les sons qui vous entourent, les odeurs que vous sentez, les saveurs que vous goûtez, les textures que vous pouvez toucher.
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- La méthode Jacobson : c’est un exercice permettant de décontracter les muscles (la tension musculaire est un symtpôme fréquent d’anxiété). Il peut sembler plus difficile à réaliser seul, il est donc conseillé de le pratiquer avec un podcast qui vous guide, par exemple celui-ci (lien cliquable).
Bonne découverte !
Directrice de la publication : Marie Derain de Vaucresson
Ont contribué à ce numéro : Bruno, Christophe Chabloz, Marie Derain de Vaucresson, Maeva Dubois et Lola Favre.
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