Propos introductif
A l’inirr, beaucoup de personnes confient parler pour la première fois des violences subies. Souvent, quand les personnes parlent pour la première fois et longtemps après les faits, cette prise de parole est questionnée : Pourquoi n’avoir rien dit au moment des faits ? Pourquoi maintenant ? Quel intérêt ? que cherches-tu ?
Ces interrogations culpabilisantes et malvenues, offrent l’occasion de conduire une réflexion sur le moment, la temporalité de la libération de la parole, qu’il s’agisse d’un témoignage public ou d’une conversation avec ses proches.
Oser parler est l’œuvre du temps, et demande un courage immense, ce moment appartient à chacun et chacune. Ce dossier insiste sur les bienfaits de la parole, des mots et veut rassurer sur les effets produits.
« POURQUOI AS-TU ATTENDU SI LONGTEMPS POUR EN PARLER ? »
Par Lola Favre, chargée de mission à l’inirr
Cette question, la plupart des personnes ayant subi des violences sexuelles dans leur enfance l’ont entendue. Elles mettent en effet plusieurs années à parler, plus de 10 ans pour près de 60% d’entre elles (CIIVISE, 2023).
Pourquoi cette temporalité ? Plusieurs raisons, parmi lesquelles les injonctions de l’auteur de violences (injonction au silence, menaces, inversion de culpabilité, banalisation des violences), des symptômes du psycho-trauma (amnésie) ou encore le sentiment, souvent présent qu’il existe un risque à parler des violences : celui de ne pas être crue, de rompre un équilibre, de blesser son entourage.
Dès lors, pour beaucoup, pouvoir parler des violences subies nécessite des conditions, un contexte propice à cette prise de parole qui repose par exemple sur le fait de ne plus être sous l’emprise de l’auteur, de trouver un interlocuteur en capacité de réceptionner ce récit et de le croire ou encore de s’inscrire dans un mouvement collectif de libération de la parole comme #Metoo ou le contexte post CIASE, qui rompt l’isolement ressenti par beaucoup de personnes.
Il existe également des « déclencheurs » de parole : la lecture d’un témoignage similaire, le décès d’un proche qu’on voulait protéger, la volonté de protéger d’autres enfants…
Ainsi, si le constat que les personnes victimes ont besoin de temps de pour parler est pertinent, la question à poser est moins « pourquoi as-tu attendu » que « pourquoi n’avons pas réuni avant les conditions pour que tu puisses le faire ? ». Il semble important, à l’heure où les mécanismes des violences sexuelles sont davantage connus et les effets du psychotrauma documentés, de respecter la temporalité des personnes victimes tout en s’efforçant à ce qu’il y ait toujours un interlocuteur prêt à accueillir leur récit le moment venu.
LES BENEFICES DE LA PRISE DE PAROLE
Par Lorraine Angeneau
A quoi cela sert-il de parler de son traumatisme ?
Cette question est essentielle car les événements traumatiques sont bien souvent impossibles à verbaliser. Pourtant, ne pas en parler, étouffer ses émotions profondes, être maintenu dans l’isolement et le silence de ce qui est arrivé de terrible peut mener à une forme de mort psychique, permise par ces hormones du stress qui continuellement inondent le corps de douleurs et de comportements irrationnels. Raison pour laquelle la majorité des thérapeutes croit au pouvoir de la parole, une parole partagée.
Pour parler, il est nécessaire de se souvenir, même par bribes, mais aussi de bénéficier d’un temps et d’un espace de parole suffisamment accueillants pour pouvoir nommer et reconnaitre ce que l’on sent au fond de soi. Parler du trauma est une étape cruciale, qui représente un processus très difficile, cependant se découvrir soi-même par la parole peut être fondateur, peut redonner une place différente à cet enfant traumatisé et exclu, en écoutant sa détresse. Il est démontré que se sentir écouté et compris change la physiologie : en explorant son autobiographie, la personne victime peut regagner en sentiment de sécurité et en compréhension d’elle-même. L’étude pionnière de Pennebaker en 1968 à la faculté de médecine de l’Ohio est la 1ère tentative qui en son temps a démontré que les personnes exprimant leurs traumatismes visitaient moins souvent le médecin dans l’année suivante, amélioraient leur fonction immunitaire, cardiaque et artérielle. Cependant, dans cette étude, le langage oral n’était pas la seule modalité : Pennebaker et son équipe ont intégré l’écriture (s’écrire à soi-même), l’art, la musique et la danse. Retrouver la parole, s’autoriser à exprimer, organiser ses souvenirs en un tout cohérent demande aussi de réparer les structures corps-cerveau et esprit qui sous-tendent le langage.
La parole et l’expression de soi sont ainsi complémentaires.
DU BIEN FAIT DE PARLER A SES ENFANTS
Etre accompagné pour parler des violences aux proches est une démarche restaurative souvent demandée par les personnes accompagnées par l’inirr. En 2024, cela représentait 10% des démarches restauratives mises en œuvre par les référents.
C’est un des effets de la démarche : se sentir prêt, pour partager avec celles et ceux qui sont chers, un moment douloureux de son histoire.
Les référents aident les personnes qui en font la demande à trouver les bons mots, à choisir le moment et le contexte.
Paroles de témoin, témoignage anonyme
Je vous remercie de m’avoir aidé à rompre le silence sur mon lourd passé, avec mon épouse.
Comme vous me l’aviez conseillé, j’avais rédigé le texte que j’allais lui lire pour ouvrir la discussion. J’ai mis une semaine à l’écrire, le modifier, le compléter et je l’avais imprimé hier soir.
Au moment de la pause-café/tisane cet après-midi, je me suis lancé et j’ai commencé d’une voix bien assurée à lire le début, faisant référence au Rapport de la CIIVISE, rendu ces jours-ci, et abordant ensuite la création de la CIASE, et le Rapport rendu par Jean-Marc SAUVE.
Je lui ai annoncé que j’avais été agressé enfant pendant sept ans. Et la discussion a débuté. Bien que choquée elle m’a remercié de lui en avoir parlé, d’avoir osé rompre le silence mais elle était surtout peinée pour moi, pour toutes ces années de vie gâchées et pour ce pesant fardeau porté. Elle m’a demandé pourquoi je n’en avais pas parlé à mon frère aîné, à mes parents… Et elle a ajouté, elle qui a une profonde foi, combien elle est dégoûtée par ces hommes d’église qui sont censés vivre l’Evangile.
Puis, je lui ai parlé de mes recherches et des différents contacts que j’ai eus, pour arriver à découvrir l’inirr et y déposer ma demande initiale en mars 2022.
Et nous avons échangé sur ces 2 organismes créés en novembre 2021, et sur le très important rôle que l’inirr a tenu avec moi pour faire remonter à la surface des faits enfouis depuis 70 ans ! Elle sait à quel stade se trouve mon dossier et sait également que je peux recevoir des courriers de l’inirr.
Cela a duré environ une heure au terme de laquelle j’ai pleuré, à 77 ans !!!
Je démarre une nouvelle vie, avec mon épouse de 76 ans, l’esprit libéré pour vivre une re-naissance.
La parole et l’expression de soi sont ainsi complémentaires.
Parole de témoin, par M.
En 2019, j’ai écrit à la CIASE pour le dénoncer et j’ai pris contact avec l’inirr en 2023. Un accompagnement s’est mis en place, suivi d’une reconnaissance officielle puis d’un dédommagement financier. Aujourd’hui j’ai 77 ans et ce n’est qu’en octobre dernier que j’ai parlé à mes deux filles de ces violences et de leurs conséquences.
Intiment persuadée que rien de bon ne pouvait sortir d’un tel désastre, je n’en parlais jamais. Aussi, la question de C. la référente de l’inirr « En parlerez-vous à vos filles ? » m’a-t-elle bouleversée. Elle me parut même complètement déplacée et mal venue. En effet, comment annoncer à des enfants que leur mère a été violée par un prêtre ? Cela avait-il de l’intérêt ? Pourtant, cette question ne m’a plus quittée et m’a permis de dépasser tous les obstacles.
Au regard de l’aide et du bienfait reçus avec l’inirr, j’ai perçu que je devais revoir mon point de vue. Je sais aujourd’hui que la qualité de relation créée par C. fut déterminante dans ce changement. De plus, une jeune étudiante me conseilla de parler en m’expliquant que « la charge des évènements traumatiques se libère par la parole… ».
Une fois la décision prise, j’ai attendu le moment favorable, lors d’un séjour ensemble. J’ai invité tour à tour E.et M. [ses filles] à déjeuner avec moi. Je suis encore étonnée de la simplicité et de la fluidité de nos échanges. L’écoute et l’intérêt de ces enfants m’ont permis de m’exprimer librement. Elles m’ont remerciée de la confiance que je leur manifestais. Loin de nous éloigner, cet aveu a resserré nos liens.
Et je reste, évidemment, très reconnaissante à C. qui m’a encouragée et soutenue tout au long de la démarche.
Parole d’étudiante, par Maeva Dubois
Maeva réalisait un travail de recherche à l’inirr sur les effets de la démarche pour les personnes victimes. Dans ce cadre, elle s’est entretenue avec M. Les deux femmes ont discuté de l’éventualité pour M. de parler à ses filles des violences subies.
Elle m’a fait part de sa réflexion concernant sa démarche de parler de son histoire à ses filles et m’a demandé ce que j’en pensais. Je me suis permise de lui partager ce que j’ai étudié à l’Université sur la psychologie transgénérationnelle et la possibilité de libérer la charge des évènements traumatiques passés pour les générations futures en libérant la parole. J’espère l’avoir aidé dans sa réflexion. Rapidement la question a été davantage « comment » en parler à ses filles, que dans le « doit-elle » le faire.
Directrice de la publication : Marie Derain de Vaucresson
Ont contribué à ce numéro : Lorraine Angeneau, Marie Derain de Vaucresson, un témoin anonyme, M., Maeva Dubois et Lola Favre
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