Ce texte est issu d’un e-mail adressé par Danièle à son référent, Jean-François Badin, et à la secrétaire générale, Alice Gayraud, quelque temps après la fin de la démarche. Elle a accepté que nous publiions son contenu.
Monsieur Badin, Madame Gayraud,
Bientôt 15 jours se sont écoulés depuis cette conversation téléphonique « finale » avec vous Madame Gayraud.
Ma vie reprend son cours. Qu’elle n’a jamais cessé, d’ailleurs, mais ce « processus INIRR » a constitué une étape importante pour moi, une parenthèse de plusieurs mois qui se referme à présent. Je pense pouvoir dire qu’il y a un avant et un après.
J’ai été choquée par le nombre de personnes qui ont porté plainte contre le même agresseur (ce qui m’avait été dit lors d’un entretien, mais je l’avais en quelques sortes « effacé »), d’apprendre que 6 autres victimes ont fait appel à vos services. Que de vies entachées, peut-être brisées. Je leur souhaite sincèrement un chemin de guérison et qu’elles trouvent l’écoute et la reconnaissance dont elles ont besoin. Choquée également de lire, en toutes lettres, ce que je savais déjà : que l’Église, bien qu’informée, n’ait pas pris les mesures nécessaires pour protéger les enfants. Que le prêtre en question n’ait pas effectué sa peine de prison. Avec le recul, il semble qu’il aurait été possible d’endiguer ce système délétère, destructeur. Et combien d’autres situations dont personne n’a connaissance ?
Le chantier est loin d’être achevé, mais heureusement il a commencé.
Monsieur Badin, nos 3 entretiens sont gravés. Ils font partie de ces moments fondateurs qui font prendre un tournant.
Depuis cette phrase : « A priori, je vous crois », jusqu’au courrier de Madame Derain de Vaucresson qui établit les faits et les reconnaît comme existants. Les « tient pour vrais ».
Ce que cela signifie pour moi, ce que cela me fait ressentir est difficile à exprimer avec des mots. À quel point cela remet les choses à leur place. À quel point c’est un soulagement de ne plus vivre dans le secret. C’est une fenêtre qui s’ouvre et la lumière peut entrer.
Je m’approprie cette phrase de ma thérapeute : « Vous avez le droit de parler. » Ça parait simple ? Ça l’est et ça ne l’est pas.
Comme j’ai pu l’exprimer au téléphone à la fin de la démarche, cela fait bouger les lignes.
Ces dernières années, j’ai expérimenté concrètement qu’il est possible de parler, de sortir du silence, sans déclencher des catastrophes bien au contraire. Que je peux être écoutée, entendue, et qu’une réponse m’est finalement donnée.
Plus jamais je n’autoriserai qui que ce soit à me faire taire.
C’est au prix de dire « non » au côté bancal de certaines relations, dont la composante toxique devient visible. Même des relations de longue date, même des relations qui sont liées à ma construction, des relations que je pensais essentielles. Au sein de ma famille, entre autres.
À cela, ni moi ni mes proches ne sont habitués. Dans un premier temps… il y a un effet de surprise, et ça demande peut-être des réajustements, du temps pour « digérer », recevoir cette nouveauté… L’acceptation viendra peut-être plus tard. Ou ne viendra pas, c’est un risque à prendre… C’est comme faire le ménage ; personne n’aime le faire, mais on est bien content que ce soit fait. Et ça comporte du tri : il y a des choses qu’on peut garder si on les nettoie, d’autres qu’il faut jeter parce qu’elles nous encombrent et ne sont plus utiles. Certaines… on peut peut-être les recycler…! Et quand c’est fait, on est fatigué, mais c’est propre et ça sent bon.
La vie me donne de beaux messages, et je me sens chaque jour plus solide, plus ajustée.
Il y a quelques jours, marchant le long de la rivière près de chez moi, je suis passée près d’une famille, dont la petite fille pleurait fort : elle avait pris peur à l’approche de deux cygnes sur la berge. Cette enfant, qui ne m’avait jamais vue, s’est spontanément tournée vers moi les bras tendus pour chercher du réconfort. En prenant cette petite contre moi pour la rassurer, j’ai réalisé le cadeau de la confiance qu’elle m’offrait. Cette petite scène n’aurait pas pu se dérouler auparavant. Cette question de la confiance envers les adultes (ou plutôt son absence) et du malaise que déclenche le contact physique sont pour moi des enjeux cruciaux, ainsi que j’ai pu l’exprimer longuement en entretien. Mais voilà, on dirait qu’il y a de la place pour cela en moi à présent. Et que les autres le perçoivent.
Je veux donc, pour conclure, exprimer encore une fois ma reconnaissance pour cet accompagnement, cette bienveillance que l’on ressent dès le premier coup de fil, ce sentiment d’être accueilli. Le jour où mon frère et moi nous avons passé la porte des bureaux de l’INIRR, nous avons senti que nous pouvions déposer notre fardeau.
Je suppose que ce n’est pas une tâche facile tous les jours pour les référents de l’INIRR, que cela demande de la constance, du courage pour écouter tous ces récits malheureux, et une belle dose de conviction. Qu’ils soient assurés que cette mission est importante et qu’elle est menée à bien, qu’elle délivre un message fondamental de clarté, de cheminement, d’entraide.
C’est drôle, vous êtes sans doute tous les deux plus jeunes que moi, mais vous avez été pour moi comme des aînés dans cette traversée, des guides. Des veilleurs.
L’état du monde n’est pas toujours réjouissant. J’ignore si c’est pire qu’avant ; j’évite les informations, elles me navrent et me dépriment. Mais ce que vous faites à l’INIRR, toute votre équipe de professionnels qui s’affaire au 41 boulevard du Montparnasse, ainsi que, à n’en pas douter ce qui est à l’œuvre dans vos cœurs : je veux vous dire que c’est une belle pierre apportée à l’édifice de l’humanité, et que cela me donne un message d’espoir et de confiance.
Aujourd’hui célébrante de vie, je m’apprête à m’installer à mon compte. Je viens de rendre mes épreuves de certification de praticienne en rituels, et me voilà bien engagée dans une formation de biographe. Les lignes bougent, là aussi. Après être longtemps restée prise dans la glace, la chaleur me revient et je me mets en mouvement.
Les faits tels qu’ils se sont déroulés ne s’effaceront pas. Leurs conséquences non plus. La seule chose sur laquelle nous ayons prise, en tant qu’être humain, c’est la manière dont nous vivons les événements, dont nous les relisons, la place que nous leur laissons prendre dans notre présent.
Toujours hypersensible, je travaille maintenant à ce que cette particularité ne soit pas un poids mort qui me freine et m’angoisse, une sorte de bombe à retardement, mais à l’accueillir et la transformer en quelque chose d’utile, et de constructif (pour moi, pour les autres). En cela, vous m’avez aidée. Ce mot de « reconnaissance », mot-valise s’il en est, a toute sa place.
À la lecture du courrier de la présidente de l’INIRR, c’est le mot de « justice » qui m’est venu. Il s’accorde bien avec le mot « justesse » et « justes ».
À tous écoutants de l’INIRR : mes pensées vous accompagnent dans la poursuite de votre action, et de sa justesse.
Alors… « juste » merci !
Un grand merci.
Du fond du cœur.
Bien chaleureusement,
Danièle